À l’occasion du colloque « Connaître et respecter les animaux : un enjeu pour l’Éducation nationale », qui aura lieu le 5 décembre 2023, sous le haut patronage de l’UNESCO, à Paris, Louis Schweitzer, président de la Fondation Droit Animal, Éthique et Sciences (LFDA) et de la Fondation Adrienne et Pierre Sommer (FAPS) nous explique les enjeux fondamentaux de ce colloque.
Le 5 décembre 2023, la Fondation Droit Animal, Éthique et Sciences et la Fondation Adrienne et Pierre Sommer organisent un colloque sous le patronage de l’Unesco, intitulé « Connaître et respecter les animaux : un enjeu pour l’Éducation nationale ». Milan presse, éditeur engagé pour les enfants, s’est associé de façon naturelle à ce colloque dont l’objectif est d’aider toutes les personnes impliquées dans l’accompagnement et l’éducation des enfants à mieux appréhender notre relation avec les animaux.
Milan presse : Qu’est-ce qui vous a motivé à initier ce colloque ?
M. Louis Schweitzer : La Fondation Droit Animal, Éthique et Sciences (LFDA) organise régulièrement des colloques sur les relations entre les hommes et les animaux. Ils ont pour objet d’intéresser les auditeurs mais aussi de faire avancer les choses. Et c’est le double objet de ce colloque organisé avec l’Éducation nationale. Notre point de départ est double : un point de départ juridique d’abord, puisque la loi sur la maltraitance animale de novembre 2021 a prévu que l’Enseignement moral et civique (EMC) sensibilise à l’école primaire, au collège et au lycée les élèves au respect des animaux de compagnie. Selon la loi, cet enseignement doit présenter les animaux comme sensibles et prévenir tout acte de maltraitance animale.
Notre conviction en second lieu est que la relation avec les animaux, et pas seulement de compagnie, doit entrer dans le cadre de l’Éducation nationale. Car d’une part, cela nous paraît éthiquement important d’améliorer les relations des êtres humains avec les autres animaux, et d’autre part nous pensons que cette formation à la relation avec les animaux doit entrer de façon générale dans la formation morale des futurs citoyens que sont les enfants. Or l’enseignement jusqu’à présent n’est pas orienté sur cette relation : on apprend des choses en biologie, sur la structure physiologique des animaux mais pas assez sur ce qu’ils sont, c’est-à-dire des êtres sensibles, ayant une conscience. Voilà donc l’objet de ce colloque, que le ministre de l’Éducation nationale devrait conclure.
Pensez-vous qu’il existe des freins actuels à cet enseignement, des enseignants pour lesquels il y aurait d’autres enjeux plus importants ?
Je ne crois pas qu’il y ait de freins. Tous les contacts que nous avons pu avoir avec des enseignants pour préparer ce colloque montrent qu’il n’y a pas de frein de la part des enseignants. Il y a simplement le fait que cette relation avec les animaux n’est pas inscrite aujourd’hui au programme et que comme on le sait, les programmes sont abondants et juridiquement définis selon une procédure complexe. Nous voudrions donc faire que ceci se débloque.
Actuellement, je dirais qu’il n’y a pas une conscience suffisante de l’importance de la relation humain-animal. C’est cette conscience que nous voulons développer avec ce colloque et nous nous réjouissons que le ministère de l’Éducation nationale partage cette idée. Le fait que ce colloque se tienne à l’Unesco, qui est l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture, est un signe positif.
Quel lien peut-on faire entre la connaissance et le respect des animaux ?
De nombreux problèmes qui se posent entre humains et animaux sont fondés sur un défaut de connaissance : les humains n’ont pas suffisamment conscience des capacités des animaux, de leur sensibilité à la douleur mais aussi de leur capacité à ressentir du bonheur et d’avoir conscience d’eux-mêmes. Sur ces questions, la science a fait des progrès très importants au cours des 20 dernières années et je suis convaincu qu’une fois qu’on a conscience de ce que sont les animaux – ce qui est souvent le cas de ceux qui ont un animal de compagnie, mais qui peut être le cas avec d’autres animaux – une vraie relation peut se construire. Par ailleurs, nous évoquerons au cours de ce colloque la médiation animale, qui est encouragée par une autre fondation co-organisatrice de ce colloque, la Fondation Adrienne et Pierre Sommer. En médiation animale, les animaux aident les humains : des enfants, des adultes qui ont des difficultés, des personnes âgées… On utilise de plus en plus des animaux spécialement formés pour aider ces personnes. Il est aussi important de voir que les animaux nous aident et nous comprennent : c’est pourquoi nous parlerons de la médiation animale.
Quel lien peut-on établir entre le respect des humains envers les animaux et le respect entre humains ?
Le défaut de respect entre humains, comme le manque de respect avec les animaux, c’est d’abord ne pas avoir assez conscience de l’autre. C’est-à-dire ne pas essayer de se mettre à la place de l’autre et penser uniquement à partir de soi. C’est le même phénomène qui fait qu’on ne traite pas toujours bien des proches ou des gens qu’on rencontre, et qu’on on traite plus ou moins bien les animaux.
L’expérience prouve que pour mieux traiter les autres, il faut être capable de se mettre à leur place. Et pour se mettre à la place d’un autre être vivant, il faut le connaître. Vous ne pouvez pas vous mettre à la place de quelqu’un dont vous ne savez pas s’il a la capacité de penser, de sentir… Le respect est une exigence morale et éthique qui se fonde sur la connaissance intérieure de l’autre, laquelle ne se limite pas à de la biologie pure : c’est savoir ce que l’autre ressent, comment l’autre réagit à ce que vous faites, à ce que vous dites, à la façon dont vous agissez. Il y a à la fois une dimension de connaissance et une dimension d’éthique, de morale. Et c’est sur ces deux plans que le colloque intervient.
Pensez-vous qu’il y ait un lien entre la crise du vivant actuelle et notre sensibilité aux autres formes de vie ?
Nous le savons tous, pour beaucoup de raisons, il y a aujourd’hui un problème d’extinction de masse. Nous sommes sans doute au début de la 6e extinction de masse, c’est-à-dire un moment où la diversité des êtres vivants sur cette planète se réduit massivement, comme c’est déjà arrivé un certain nombre de fois depuis l’apparition de la vie sur terre. Cette extinction de masse est la première à être due aux êtres humains, et non pas à d’autres phénomènes (volcanisme, changement climatique…). L’idée même que l’être humain détruit massivement la vie sur la planète où il vit est moralement insupportable. Et la perte de la biodiversité n’est pas seulement une perte esthétique, la biodiversité est une condition de vie de la planète et donc, de notre propre survie ! On a parfois une vue lointaine ou théorique des animaux sauvages, qu’on ne fréquente pas autant que les animaux domestiques : il faut apprendre ce qu’ils sont et comment ils contribuent à notre propre vie.
La loi, qui ne mentionne que les animaux de compagnie, devrait-elle étendre la connaissance des animaux à la vie sauvage ?
À la vie sauvage et aux animaux domestiques ! Le respect de la vie, des autres vies, est une philosophie qui enrichit l’homme. Et même dans les relations humaines, nous devons apprendre à comprendre et aimer ce que les autres ont de différent de nous. Au fond, le respect de l’autre, c’est quelque chose qu’il faut apprendre avec les autres êtres humains et avec les animaux.
Propos recueillis par Mélissa Conté, rédactrice en chef de Wapiti
Depuis sa création, la Fondation Droit Animal, Éthique et Sciences a pour mission d’informer et de sensibiliser le public à la cause animale, mais également d’accompagner les professionnels et de collaborer avec les décideurs politiques. Pour mener à bien ces missions, elle organise régulièrement des colloques réunissant professionnels, citoyens et décideurs politiques.
La Fondation Adrienne et Pierre Sommer agit pour la médiation animale depuis 1971.