La dernière Revue internationale d’éducation de Sèvres du CIEP est consacrée au métier de chef d’établissement : Ghislaine Matringe, coordinatrice du numéro, a présenté lors d’une conférence de presse cette fonction, qui nécessite des compétences toujours plus diversifiées alors que la décentralisation des pouvoirs, de mise dans de nombreux pays, lui confère de nouvelles responsabilités.
Première constatation, le métier de chef d’établissement dans le secondaire est en pleine mutation. Ses responsabilités s’accroissent alors que la décentralisation des pouvoirs devient la règle dans la plupart des pays. L’établissement acquiert davantage d’autonomie — mais il s’agit là d’un « concept flou » : parle-t-on d’autonomie budgétaire, pédagogique, ou dans la gestion des personnels ? Réside-t-elle dans la liberté d’ouvrir des « écoles libres », pas nécessairement confessionnelle ?
Le contre-exemple suédois
En France par exemple, la situation n’est pas claire : « on vous dit que vous êtes autonome et on vous recarde immédiatement », affirme Gislaine Martine. Le budget des établissements est par exemple conditionné aux exigences des collectivités locales, et le pouvoir central reste fort, la liberté pédagogique limitée.
La Suède au contraire, a poussé jusqu’à l’extrême la décentralisation. A la suite d’une série de vastes réformes dans les années 90, l’éducation a été placée sous la tutelle des collectivités locales, les enseignants et chefs d’établissements (appelés « rektor ») ont perdu leur statut de fonctionnaires pour devenir de simples agents municipaux, la carte scolaire a été abolie, et n’importe qui possédant des « connaissances pédagogiques » a pu postuler en tant que chef d’établissement : chefs d’entreprise, militaires de carrière, psychologues…
« Décentraliser ne veut pas dire déréguler »
Cette expérimentation n’a pas porté ses fruits. Aujourd’hui, « les résultats PISA de la Suède baissent, et les inégalités se creusent », remarque Ghislaine Matringe, alors que le pays était un modèle de justice sociale. Les « nouveaux » chefs d’établissements ont abandonné devant les contraintes du métier, et la crise du recrutement est aiguë : on compte à peine 0,6 candidat par poste de chef d’établissement. Pour y remédier, la Suède cherche aujourd’hui à revaloriser leur statut, et on compte pas moins de 118 occurrences du titre de « rektor » dans la loi d’éducation la plus récente !
Si la décentralisation permet de prendre en compte les réalités locales et doit donc être encouragée, « décentraliser ne veut pas dire déréguler, comme la Suède l’a fait », commente Alain Bouvier, rédacteur en chef de la Revue.
La décentralisation fait peser de lourdes responsabilités sur les épaules des chefs d’établissements. Dans de nombreux pays, ils se disent « en souffrance », « écartelés » entre des injonctions contradictoires, « embarrassés » parfois par les pouvoirs qui leur sont confiés. « On veut qu’ils soient chefs d’entreprise, pédagogues, garants du budget, interlocuteurs des parents… Les États attendent beaucoup des chefs d’établissements mais ne définissent pas toujours clairement ce qu’ils attendent », souligne Ghislaine Matringe.
Les avantages de la fonction ne compensent plus ses difficultés
Ainsi dans certains systèmes, on exige des chefs d’établissements qu’ils soient un instrument de justice sociale et fassent réussir tous les élèves. L’échec est lourd de conséquence, comme aux États-Unis et au Chili, où la reddition des comptes peut se solder par la fermeture de l’établissement et le licenciement de tout le personnel. Ce pilotage par les résultats est parfois combiné à des subventions proportionnelles au nombre d’élèves scolarisés dans l’établissement, ce qui pousse les chefs d’établissement à faire leur pub, pour « voler » les meilleurs éléments d’autres établissements, créant une concurrence et toujours plus de tension.
Le corps des personnels de direction en France
Les enseignants questionnent souvent la légitimité du chef d’établissement à les évaluer, c’est pourquoi être un enseignant est un pré-requis à la fonction dans la plupart des pays, et l’accès se fait souvent à l’ancienneté. La France s’est démarquée dès 1988 en créant un corps de direction accessible sur concours. La plupart des candidats restent issus du monde de l’éducation : au concours 2011, 58,4% des admis étaient des professeurs du second degré, 17,9% des professeurs du premier degré, et 19,6% des personnels d’éducation, les autres catégories de personnels ne représentant que 4,1%. Le récent décret du 1er août 2012 ouvre désormais l’accès au corps aux fonctionnaires issus d’autres ministères et à des ressortissants de l’Union européenne.
Dans des pays comme l’Allemagne, la Suède ou le Chili, les avantages de la fonction ne compensent plus ses difficultés, ce qui alimente la crise du recrutement. La France est épargnée notamment parce que les conditions d’exercice sont moins dures qu’ailleurs, et que « la pyramide des âges des chefs d’établissements est équilibrée, et les jeunes qui prennent leur fonction sont très enthousiastes ». Mais des efforts restent à faire, notamment en matière de formation continue. La culture de l’évaluation devrait par ailleurs rentrer davantage dans les moeurs : « Pourquoi ne pourrait-on pas discuter collectivement des résultats d’un établissement sur l’année ? » interroge Ghislaine Matringe.
La stabilité et le leadership partagé au coeur d’une direction efficace
Le CIEP et les auteurs collaborant à la revue n’ont pas de « modèle idéal » de gouvernance d’un établissement à proposer. Ghislaine Matringe encourage toutefois à « voir ce qui se passe chez les autres ». Si aucun pays n’a trouvé de solution miracle, les États-Unis ont de l’expérience en matière d’analyse des pratiques de leadership efficaces; le Portugal est un modèle en matière de gestion démocratique des établissements (les chefs d’établissements y sont élus); la Slovénie propose une formation solide, etc. La France quant à elle ne se débrouille pas trop mal pour la valorisation du statut puisque dans notre pays, « il n’y a pas de crise du recrutement », et les chefs d’établissements « sont fatigués, mais heureux ».
Le système de direction le plus efficace semble reposer sur deux piliers : la stabilité (il faut au moins cinq ans pour établir une influence durable), et le leadership partagé, qui associe tous les acteurs de l’établissement. Il est illusoire de penser que le chef d’établissement peut, à lui seul, changer les résultats de tous les élèves, même si son influence sur le climat scolaire est indéniable.
Quentin Duverger du site vousnousils.fr